Une tension artérielle trop élevée, un risque de diabète, un mal de genou, un essoufflement à l’effort…Il est bien facile de lier le poids d’un individu à ses problèmes de santé, mais est-ce vraiment l’élément central de tous ces maux ? Malheureusement, encore beaucoup de professionnels de la santé, notamment les médecins, accordent une part importante au poids de l’individu dans l’atteinte d’une santé globale. Certaines études concluent que les médecins de première ligne consacraient 28% moins de temps aux gens en situation d’obésité[1]. Lorsqu’une rencontre dans le bureau médical dure moins de 15 minutes, on comprend qu’il est vite facile de dire une phrase de trop qui risque d’être la source d’obsession vis-à-vis l’image corporelle et parfois même l’élément déclencheur vers un trouble alimentaire.
Au Québec, plus de 100 000 filles et femmes sont prises avec des troubles alimentaires, que ce soit l’anorexie, la boulimie ou des accès hyperphagiques. On croit même que près de 20% d’entre elles ne reçoivent pas l’aide appropriée, les mettant donc plus à risque de souffrir gravement de leur maladie [2]. Plus encore, il semblerait que le fait d’être confronté à des commentaires en lien avec notre poids, pourrait avoir un impact négatif sur notre relation avec la nourriture. Par exemple, les individus recevant ces commentaires venant de leur famille obtiennent un score plus élevé sur l’échelle de la boulimie (Keery, Boutelle, Van Den Berg, & Thompson, 2005). Finalement, la stigmatisation entourant le poids jouerait un rôle crucial dans le comportement alimentaire des adolescents. Ils sont alors plus à risque d’essayer des diètes, de développer un trouble alimentaire ou de manger davantage sous l’influence de leurs émotions (Vartanian & Porter, 2016).
Avec la pandémie vécue dans les deux dernières années, l’incidence des troubles alimentaires est à la hausse. En effet, selon une récente revue de littérature, les admissions hospitalières pour cause de troubles alimentaires ont augmenté de 48% durant cette période (J Devoe et al., 2022). À cela s’ajoute une accessibilité réduite à des organismes ou ressources venant en aide à ces personnes. Par exemple, la Maison l’Éclaircie, située à Québec, doit se limiter à venir en aide seulement aux individus de 14 ans et plus, résidants dans la Capitale-nationale ou en Chaudière-Appalaches. Que ce soit par l’écoute téléphonique, les rencontres avec des intervenants spécialisés ou les cours en groupe, l’accompagnement des gens vivant un trouble alimentaire se veut bienveillante et sans jugement. Par le dynamisme de son équipe multidisciplinaire, la Maison l’Éclaircie est un endroit de rencontres enrichissantes, sur un fond de « milieu de vie ». On s’y retrouve pour apprendre à déjouer son trouble alimentaire, augmenter son estime personnelle et tout cela dans un environnement chaleureux où tous peuvent y trouver leur place. Les intervenants sont formés pour écouter, orienter et surtout accompagner. Parce qu’un trouble alimentaire porte en lui une grande fragilité, il est primordial d’utiliser une approche douce, réconfortante et remplie de compassion. Le discours médical, parfois froid et paternaliste, aura sans doute plutôt un effet pervers sur le trouble alimentaire, soit en l’accentuant ou en le créant. En tant que professionnel de la santé, il est donc essentiel de bien mesurer le choix de notre discours pour aider sans nuire.
La connaissance d’un milieu comme celui-ci est également source de cohérence pour des soins de qualité. Il vaudra alors mieux référer plutôt qu’offrir une aide dénudée d’outils pour le patient participant. L’approche de groupe à la maison l’Éclaircie saura répondre à une multitude de besoins réels pour l’individu qui se présente avec un trouble alimentaire. D’une durée de 15 semaines, ces séances sont d’abord composées d’une série d’intervention avec une nutritionniste et une intervenante spécialisée. Ces rencontres permettent aux participants de parfaire leurs connaissances en nutrition, que ce soit le rôle des macronutriments sur la santé, que les portions recommandées, en passant par l’alimentation intuitive. En parallèle, plusieurs textes réflexifs sur les troubles alimentaires sont réalisés individuellement et font ensuite office de discussion en grand groupe.
Parce que malheureusement, les troubles alimentaires sont en constante augmentation chez les jeunes dans les dernières années, il est important de se rappeler que notre discours actuel dans notre société orientée sur l’absence de maladie physique entraîne dans son sillage une détresse psychologique qui nuit à la santé mentale. À trop vouloir expliquer les problèmes de poids à des facteurs propres à l’individu, on le stigmatise en lui faisant croire que le bonheur, autant que la santé, devrait se mesurer par un chiffre sur la balance. Déjouons les statistiques en proposant d’aider autrement et en repoussant les stéréotypes de notre culture des diètes ; devenons des professionnels de la santé qui font le poids de la différence !
Catherine Trudel Guy, étudiante en médecine
Références
J Devoe, D., Han, A., Anderson, A., Katzman, D. K., Patten, S. B., Soumbasis, A., . . . Marcoux, G. (2022). The impact of the COVID‐19 pandemic on eating disorders: A systematic review. International Journal of Eating Disorders.
Keery, H., Boutelle, K., Van Den Berg, P., & Thompson, J. K. (2005). The impact of appearance-related teasing by family members. Journal of Adolescent Health, 37(2), 120-127.
Vartanian, L. R., & Porter, A. M. (2016). Weight stigma and eating behavior: A review of the literature. Appetite, 102, 3-14.
[1] Grossophobie médicale : la dure réalité des patientes en surpoids, https://fr.chatelaine.com/societe/grossophobie-medicale-la-dure-realite-des-patientes-en-surpoids/
[2] Gouvernement du Québec, 2018