Ça aura pris plus de 20 ans à Karine pour se dépêtrer des bourrasques des troubles alimentaires. Le chemin aura été long, parfois pénible, mais en aura valu la chandelle. La liberté qu’elle éprouve aujourd’hui dans son corps et dans sa tête est inestimable. C’est le cœur ouvert que Karine partage son vécu dans ce témoignage singulier.

1. Te rappelles-tu quand tout ça a commencé ?
Ça s’est passé insidieusement. Ayant toujours été influençable, je passais mon temps à feuilleter des revues à potins et à écouter des vidéoclips sur Musique Plus. Je vénérerais mes idoles : Gwen Stephanie, Alanis Morissette, Avril Lavigne, Britney Spears, Christina Aguilera, Bif Naked, The Pussycat Dolls, les Spice Girls et j’en passe. En plus d’être talentueuses, ces chanteuses avaient toutes le même point en commun : elles étaient minces. J’ai vite associé la beauté et la popularité à la minceur. Je voulais tant leur ressembler!
Vers l’âge de 13 ans, ma mère s’est acheté un « air Walker » qu’elle avait installé dans le sous-sol devant la télé. Ça avait l’air le fun, j’ai commencé à embarquer sur cette machine lorsque l’émission Virginie était diffusée. Plus je m’entraînais, plus c’était facile et plus ma silhouette s’affinait. J’étais sidérée du contrôle dont je détenais envers mon corps. Je me suis mise à diminuer mes portions et à embarquer sur l’exerciseur plus souvent et plus longtemps. J’ai rapidement été intéressée par le nombre de calories dans les aliments que je mangeais. Je les ai appris par cœur. J’ai commencé à me peser tous les jours et à inscrire le poids dans un petit carnet. Je me suis alors restreinte à consommer de moins en moins de calories. Au début, moins je mangeais, moins j’avais faim. Je commençais à recevoir de jolis compliments pour ma perte de poids. Plus confiante que jamais, j’avais économisé pour m’acheter de nouveaux vêtements plus petits et plus révélateurs. Je pétais le feu, je scorais dans mes bulletins et travaux à l’école. Je m’étais inscrite au comité des élèves et je m’impliquais dans diverses activités. Je croyais avoir gagné en popularité grâce à ma nouvelle shape. J’avais un faux sentiment de puissance et de bonheur. À l’intérieur, j’étais toujours cette fille gênée sans grande estime d’elle-même. Mon frêle château de cartes forgé par de fausses illusions s’est vite effondré. Ma famille et mes amies posaient de plus en plus de questions à propos de mon alimentation. J’étais rendu accro au contrôle et obsédée par mon poids. Je voyais mes proches comme des ennemis qui ambitionnaient à miner mes plans. À ce stade, j’étais l’ombre de moi-même. La maladie s’était incrustée profondément en moi. L’anorexie avait pris les commandes de mon cerveau. Je n’étais pas dupe, je comprenais que perdre ses cheveux par poignée dans la douche, avoir un arrêt de ses menstruations, grelotter au soleil quand il faisait 30 degrés et avoir d’innombrables étourdissements au cours d’une journée, ce n’était pas normal. Ces signaux révélaient que j’étais réellement malade. Mais, dans mon esprit, j’étais rendue trop loin pour revenir en arrière. Je ne savais pas comment arrêter l’engrenage de ce trouble alimentaire. J’étais emprisonnée dans cette obsession de ne plus manger. Je ne m’appartenais plus. La maladie commandait mes pensées. Je ne gérais plus rien. J’étais une automate qui acquiesçait à la famine volontaire et qui, sous mon propre regard de ma détérioration, se soumettait à cette finalité…en ne sachant où trop, cela me conduirait.
2. Comment tu te sens par rapport à ce trouble alimentaire maintenant ?
J’ai de la peine pour la petite fille que j’étais et qui manquait cruellement de confiance et d’estime d’elle-même. Je me sens fâchée d’avoir vécu dans une ère où l’on prônait les corps minces et sveltes à un moment dans ma vie où j’étais extrêmement vulnérable. J’aurais aimé voir une diversité de modèle durant mon adolescence. Je pense que ça aurait peut-être fait une différence. Je réalise aujourd’hui tout le chemin parcouru et je suis fière d’avoir réussi à passer au travers. Je suis la preuve vivante que la guérison existe. Je ne dis pas que ça été facile et exempt d’embuches, mais aujourd’hui, ma relation avec la nourriture est beaucoup plus saine qu’autrefois.
3. Est-ce que tu considères que tu t’en es sorti/sortie ? Quel a été le déclic ?
Oui, les troubles alimentaires sont derrière moi. Je demeure très sensible aux images projetées par les médias, car j’ai appris que j’étais influençable. J’ai l’impression qu’aujourd’hui les discours sont en train de migrer et qu’on parle davantage de bienveillance envers soi-même, d’acceptation des corps (ou de neutralité), ainsi que de la lutte contre la grossophobie. Ce qui est un énorme pas en avant pour les générations futures. L’alimentation intuitive, c’est-à-dire l’anti-régime, a été une révélation pour moi. Je suis convaincue que c’est la seule manière de vivre en paix avec mon alimentation. En résumé ça consiste à : être à l’écoute de son corps en respectant ses signaux de satiété et de faim, manger de tout en cessant de catégoriser les aliments comme « santés » et « malsains » et accepter de vivre des émotions, bonnes ou mauvaises. C’est la partie la plus dure pour moi. J’ai également appris avec le temps que j’étais une personne hypersensible, autant sensoriel qu’émotionnel. Ce qui fait en sorte qu’en plus de dealer avec mes émotions je dois patiner avec celles des autres qui me rentrent constamment dedans de manière incontrôlable. Bref, la partie n’est pas encore tout à fait gagnée, mais au moins je connais bien les règles du jeu !
4. Quels ont été tes moyens pour y arriver ? Sinon, as-tu un plan pour t’en sortir ?
Au plus fort de la maladie, alors que je frôlais les 80 livres, mes parents m’ont donné un ultimatum. J’avais le choix de passer mon été dans un hôpital spécialisé pour les personnes ayant des troubles alimentaires ou de me rétablir moi-même, à la maison, avec l’aide de notre médecin de famille, d’une nutritionniste et de ma famille. Le choix a été facile. Le médecin m’avait donné un objectif de poids à atteindre, soit 105 livres. J’ai été voir la nutritionniste une seule fois. J’avais une phobie d’engraisser, mais je le cachais bien. Je mangeais un peu plus chaque jour selon les recommandations. J’ai réussi le défi du médecin, mais, à l’intérieur de moi, je me sentais grosse en tabarnak. Je me détestais. Quelques mois plus tard, lors de la nouvelle année scolaire, je partais en échange étudiant pour un voyage de 3 mois en Colombie-Britannique, c’est là que je me suis mis à souffrir d’hyperphagie. Je me consolais dans la nourriture. J’avais un mal de vivre incroyable et je m’ennuyais de chez nous. Je suis rentré au Québec avec plus d’une cinquantaine de livres en plus, ma mère ne m’a pas reconnu à l’aéroport.

5. Quel lien entretiens-tu avec ton poids, la balance et ton image corporelle ?
J’ai rangé ma balance dans une armoire. Je ne la sors que quelques rares fois pour assouvir une curiosité trop forte quand je sais que j’ai maigris ou engraissé de façon substantielle. J’essaie de me foutre de mon poids le plus possible et je ne me fie plus à l’IMC. J’ai encore pas mal de complexes envers mon corps, mais ça ne m’obsède plus autant. Je focalise sur les fonctions que mon corps m’offre (j’ai donné naissance à deux enfants, je suis capable de courir, de jouer et de m’amuser avec eux.) Il y a des jours où je suis en paix avec le reflet du miroir et d’autres jours où le simple fait de me regarder en photo me donne le goût de pleurer et de me faire vomir.
6. Quels moyens prends-tu pour gérer tes émotions et quelles sont les activités qui t’aident à bien aller ?
Parler !!! Présentement, je vois une travailleuse sociale qui reconnait mon hypersensibilité et mon empathie extrême. Elle m’aide à me reconnecter sur mes émotions, à les vivre et à les nommer sans essayer de les comprendre ou de les analyser. Parler de mes sentiments et de ce que je vis dans un contexte de bienveillance m’aide à me connaitre davantage, donc à m’apprécier et surtout à être plus indulgente envers moi-même. Sinon, pour m’aider à aller mieux au quotidien j’aime lire, écrire, jouer de la guitare, écouter la télévision ou prendre un bain.
7. Comment était ta relation avec la nourriture quand tu étais plus jeune ?
D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours eu un gros appétit, j’aimais manger. À 4 ans, on me surnommait Miss Biscouit. Lorsque j’ai commencé l’école, mon frère et moi avions la responsabilité de préparer notre lunch. Mes parents achetaient du jambon super épais et nervuré qui me dégoutait, tous les jours de la semaine, je me préparais un sandwich au beurre de peanuts. J’aimais ça pour vrai, je ne me tannais pas. Un jour, une plus grande assise en face de moi à la table de la cafétéria m’en fit la remarque en me disant que c’était bizarre et les élèves assis à notre table se sont mis à se moquer de mon lunch et par subséquent de moi, qui l’avais choisi et préparé. Depuis ce temps-là, et encore parfois aujourd’hui, je me cache derrière ma boîte à lunch pour manger. J’appréhende les commentaires des autres sur ce que je mange. J’ai développé une certaine phobie sociale reliée aux repas. Avec le temps j’ai heureusement su gérer mieux cette anxiété.
8. Si tu pouvais retourner avant ton trouble alimentaire, que dirais-tu à la personne que tu étais ?
Ne commence surtout pas de régime !!!!!! JAMAIS ! Mange à ta faim. Tu es belle tel que tu es. Ta personnalité a tout pour plaire. Arrête de te comparer ça ne donne rien. Apprécie-toi !! L’adolescence ce n’est pas facile, mais ça finit par passer. Crois en tes capacités, tu as un potentiel élevé, développe-le et apprends à te connaitre et à t’accepter. Ton corps est un instrument qui peut te mener loin. Prends-en soin.
Parce qu’on n’est pas juste un trouble alimentaire !
9. Quelle chanson écouterais-tu en boucle ?
MmmBop des Hanson, j’suis quétaine de même !
10. Quelle est ta série télévisée préférée ?
Oh boy…j’en ai tellement! Je dirais que Game of Thrones est la plus grandiose que j’ai écoutée. Mais je suis une fanatique des séries québécoise, je n’en rate pratiquement aucune.
11. Quel rêve caresses-tu ?
Ces temps-ci je rêve d’écrire des livres (et d’être publiée et acclamée par la critique !). Tsé, tant qu’à rêver, on va rêver en grand ! J
12. Qu’est-ce qui te rend heureux/heureuse ?
J’aime passer du bon temps avec ma famille, mes proches et mes amis.es. Simplement savourer l’instant présent avec ceux que j’aime et rire ! J’adore rire ! J’ai aussi besoin de solitude assez régulièrement, ça me permet de me ressourcer et de reconstruire mon énergie.
13. Quel a été le plus beau jour de ta vie ?
Crime, j’en ai trop ! Impossible de répondre. Qui a écrit cette question coup donc ! Hahaha !
14. Quel livre ou quelle œuvre apporterais-tu sur une île déserte ?
Toute la série des romans de Harry Potter en français, en anglais ainsi que les films. Une vraie de vraie maniaque !
15. De quoi es-tu le ou la plus fier/fière à ce jour ?
Je suis fière du cheminement que j’ai fait malgré tous les défis que la vie m’a amenés jusqu’à aujourd’hui. Avoir le bonheur facile et voir le positif dans la vie m’a beaucoup aidé à traverser les tempêtes passées.
16. Quel est ton moyen ultime pour te relaxer ?
Prendre un bain en lisant un roman.
17. Quel est ton talent caché ?
J’ai un certain talent pour concevoir de nouvelles idées et entreprendre de nouveaux projets (au grand damne de mon chum ! Haha ! Je lui demande souvent de m’aider dans l’exécution desdits projets lorsque ça touche la maison. Pis ça touche souvent la maison ! 😛 )
18. Quelle(s) valeur(s) te tiennent à cœur ?
La famille, la sincérité, la justice, le respect, la bienveillance, le civisme.
19. Quelle(s) qualité(s) préfères-tu chez toi ?
Je suis souvent de bonne humeur, je suis un bon public, je suis ricaneuse, aimable et serviable.
20. Quelle est ta philosophie de vie ou quel conseil t’a-t-on déjà donné que tu aimerais nous partager ?
Ma mère disait toujours (mon dieu je sonne comme Forest Gump !) « Vivre et laisser vivre ». Comme je suis un peu potineuse et que la vie des autres m’intéresse beaucoup, je tente d’appliquer cet adage au mieux de mes capacités. Pas facile ! Pas facile ! De façon tout à fait opposée, je tente de me foutre de l’opinion des autres et d’être moi-même peu importe les circonstances. Ça non plus ce n’est pas facile.
Témoignage de Karine Nadeau, créatrice du blogue Le Beau Désordre